Seul dans Berlin

C’est un de mes amis proches qui m’a conseillé ce pavé, censuré à l’époque et qui aujourd’hui paraît en version intégrale et dans une nouvelle traduction. C’est effectivement un immense roman sur la société allemande, à Berlin, entre 1940 et 1942, le climat de terreur que fait régner le parti nazi et les réactions diverses du peuple, de la résistance à la collaboration la plus abjecte, en passant par l’indifférence ou la résignation.

La langue est magnifique, et parvient à rendre le lecteur très proche des gens, grâce aux nombreux monologues intérieurs. Hans Fallada (nom de plume d’un écrivain allemand mort en 1947) a su parfaitement retranscrire la vie de toutes les petites gens d’un immeuble de Berlin, le fils d’un alcoolique trouvant sa revanche dans la Gestapo, le looser cherchant à resquiller tout le temps, la vieille Juive que les SS vont priver de son appartement, et puis… Otto et Anna Quangel. Lui, c’est un ouvrier taiseux, avare et froid, elle, une femme soumise à son mari mais leur vie est bouleversée par l’annonce de la mort de leur fils unique et peu à peu divers événements contribuent à un changement profond de leur conscience : « Anna Quangel sentit qu’elle tremblait. Puis elle regarda rapidement en direction d’Otto. Il avait peut-être raison, peu ou beaucoup, personne ne pouvait risquer plus que sa vie. Chacun selon ses forces et ses dispositions – l’essentiel étant : résister. […] Il y avait quelque chose de si funeste, de si sombre, de si résolu dans les phrases qu’Otto venait de prononcer. Elle comprit aussitôt qu’avec cette première phrase il avait déclaré la guerre, aujourd’hui et pour toujours, et elle sentit aussi obscurément ce que cela signifiait : la guerre entre eux d’un côté, les pauvres et insignifiants petits ouvriers, qui à cause d’un mot pouvaient être éliminés pour toujours, et de l’autre le Führer, le parti, ce monstrueux appareil avec tous ses pouvoirs et son éclat, et les trois quarts, oui, les quatre cinquièmes même de tout le peuple allemand derrière eux. Et tous les deux ici, dans cette petite pièce de la rue Jablonski, tous les deux tout seuls !« 

Ils décident de faire ce qu’ils peuvent : écrire des messages contre Hitler sur des cartes et les déposer dans des immeubles. On assiste alors, le cœur serré, impuissant, à la traque contre eux, au piège qui se referme…

Même si le couple Quangel est au cœur du roman, L’auteur fait vraiment vivre sous nos yeux toute une galerie de personnages, le lâche et méprisable Enno Kluge (ironie de son nom qui veut dire intelligent en allemand !), Baldur Persicke, condensé de bêtise et de brutalité mais aussi le vieux juge Fromm qui place la vraie justice au dessus de tout, ou le chef d’orchestre partageant la cellule de Otto Quangel, admirable de droiture et de dignité.

Certaines scènes comme la parodie grotesque de procès des Quangel sont un réquisitoire féroce et plein d’ironie mordante contre la violence inhumaine mais aussi la bêtise, l’arrogance et l’incompétence crasse des nazis.

Sur le site de Babelio, plusieurs excellentes critiques, dont une qui évoque cette photo, que je ne connaissais pas, montrant un homme, August Landmesser, qui en 1936 est le seul de toute une foule à ne pas faire le salut nazi ! Cette photo est d’une force incroyable…

Je pense que ce roman résonnera encore longtemps en moi… et avec ses 760 pages en poche c’est ma seconde participation au challenge du Pavé de l’été 2023 chez Sibylline et de l’Epais de l’été chez Dasola.

Catégorie « lieu » pour le challenge Petit Bac.

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12 commentaires pour Seul dans Berlin

  1. tadloiducine dit :

    Bonjour Sandrion
    Votre billet billet nous donne une vision complémentaire à celui de Gaëtane: vous insistez davantage sur la représentation « globale » de la société allemande, au-delà des actes de résistance individuelle… qui furent nettement minoritaires, et impitoyablement réprimés (cela expliquant ceci).
    Merci pour votre participation (avec déjà deux « livres épais » différents à ce jour, du coup) au challenge dont je suis l’organisateur 😉
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    • sandrion dit :

      Merci pour ce commentaire ! Je vais préciser que c’est toi qui l’organise et non dasola 😉 est-ce que tu vois un inconvénient si je te tutoie ? J’ai du mal à vouvoyer 😏 tu peux faire pareil !

  2. Christine Dupuy dit :

    Ce roman m’avait bouleversée et a motivé ma lecture de l’autre opus de Fallada, « Quoi de neuf, petit homme ? » sur l’Allemagne de Weimar, différent mais aussi puissant.

  3. Aifelle dit :

    Je l’ai lu il y a déjà longtemps et pour des raisons que j’ai complètement oubliées, je n’avais pas tellement accroché. Quelque chose m’avait déplu, mais quoi ? Ou alors je ne l’ai pas lu au bon moment.

  4. je lis je blogue dit :

    J’ai lu ce roman l’été dernier. Apparemment l’auteur s’est inspiré de l’histoire vraie d’Otto et Elise Hampel, et du dossier de la Gestapo auquel il a eut accès. Son roman permet en tout cas d’imaginer un peu l’ambiance à cette période en Allemagne.

    • sandrion dit :

      Oui j’ai vu aussi qu’il s’était inspiré d’un fait réel… Oui, on imagine vraiment comment c’était en Allemagne et ça fait froid dans le dos !!

  5. kathel dit :

    Je l’ai lu il y a longtemps, j’avais aimé, mais ne me souviens que de l’atmosphère, et peu des personnages.

  6. Gaëtane dit :

    J’ai lu avec beaucoup d’attention ce billet. J’ai vraiment apprécié ce roman et c’est vrai que tu soulignés des points que je n’ai pas souligné. Le procès est effectivement un moment glaçant et très ironique. J’ai beaucoup aimé ce livre.

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